Il y a encore quelques années, des frissons parcouraient l’échine des parents qui apprenaient que leur progéniture était adepte de jeux de rôle, de films d'horreur ou de jeux vidéo. Si aujourd'hui ces loisirs ont été adoptés par le grand public et que les polémiques sont rares, au fond qu'en est-il ? Les gens qui apprécient ces œuvres sont-ils déséquilibrés ? La réticence à consommer des médias qui mettent en scène des actes barbares ou sanglants, fussent-ils fictionnels, n'est-elle pas compréhensible ? Aujourd'hui, on se demande si le film d'horreur est moral.
Dans 100 mètres, la destination se trouvera sur votre gauche
Remake du long-métrage de Wes Craven (à qui l'on doit les sagas Scream ou Les Griffes de la Nuit), La Dernière Maison sur la gauche est sorti en 2009. Un film passé plutôt inaperçu, en dépit de son casting qui accueille Riki Lindhome (Under the Silver Lake, A couteaux tirés, …) ou Aaron Paul (Breaking Bad, Westworld, …). Et pour cause : des comme lui, on en voit des dizaines tous les ans. Il fait partie de cette masse d’œuvres correctes, qui malheureusement n'ont pour elles pas grand chose qui leur permettent d’en sortir.
Toutefois, son apparition dans la newsletter d’aujourd'hui n'est évidemment pas anodine. Car La Dernière Maison sur la gauche est violent graphiquement mais aussi psychologiquement. Ce qui rend le film d’autant plus difficile à juger de manière objective, car il implique le spectateur avec des émotions et des sentiments très forts. Du dégoût, mais aussi de la réjouissance, car ici, la vengeance est un plat qui se déguste sans attente.
Les actes criminels perpétrés dans le film, qui n'ont rien de fictifs, dégoûtent, révoltent, et on en vient à souhaiter le pire à certains personnages. La représentation de l'horreur humaine dérange, certes, mais l'exploration de la violence intrinsèque à la société est pertinente. Tout comme le questionnement des limites que nous nous imposons lorsque l'un de nos proches est mis à mal. Malgré la peur initiale de tomber dans le torture porn (un sous-genre dont le seul intérêt est de montrer frontalement brutalités et sévices auxquels les personnages ne peuvent pas échapper), le ton reste souvent juste, et sans glorification ambiguë : impossible de prendre le parti des antagonistes, montrés ici comme des monstres inhumains.
À l'inverse, par exemple, de la saga Saw. Si le premier film se la joue policier avec une vraie intrigue et des retournements de situation, dans les suivants, ceux-ci passent au second plan. Ne reste alors plus au spectateur qu'une jouissance sadique, distrayante, avec la découverte des nouveaux pièges tordus inventés par le créateur du "jeu" et les scénaristes.
À aucun moment, on ne se sent proche des victimes, jamais on ne ressent de la compassion, jamais on se révolte contre Jigsaw (le créateur des pièges). Au contraire même, on s'amuse de ce qu'il fait, on nous pousse à prendre son parti, en le glorifiant, lui et son intelligence machiavélique. Cela ne serait pas si grave si ses actions étaient condamnées par le discours général du film, mais cela n'arrive jamais. C'est précisément ce que critique Stephen King dans l’Anatomie de l'horreur, rééditée en 2018 par Albin Michel mais originalement publiée en 1981. Bien avant la sortie de Saw donc. Mais si ce film a permis au torture porn de rentrer plus profondément dans la culture populaire, il existe depuis bien plus longtemps. A cette époque déjà, l'écrivain note qu'une œuvre d'horreur n'est pas immorale en soi, mais le devient lorsqu'elle prend le parti des personnages dont ce sont les actes qui nous révulsent. Faire de Patrick Bateman, un trader qui tue, mutile et viole, le personnage central d'American Psycho ? Pas de problème : à aucun moment le livre, et plus tard le film, ne donne un sentiment d'identification. Tout dans son attitude répugne le spectateur, il est continuellement désavoué et rien ne l'encense.
Dans son ouvrage qui se donne pour objectif de réhabiliter le genre, King affirme également que non, regarder des films ou lire des livres d’horreur ne fait pas de nous de mauvaises personnes ou des psychopathes en puissance, au contraire.
Le monstre dans le placard
Au quotidien, nous avons tous peur, à des degrés différents. Petit, on craint qu'un monstre ne soit tapi dans le placard, et qu'il en sorte la nuit pour nous dévorer. En grandissant, nous avons peur du crash d'avion, de tomber malade, qu'une guerre ne se déclenche ou d'avoir un accident. C'est logique : la vie de toute chose implique, fatalement, sa mort prochaine. Une mort invisible, imprévisible, dans une réalité qui manque cruellement de sens. Ainsi les films, les livres, les séries d'horreur permettent d'exorciser ces peurs, de donner corps à nos angoisses en les transformant en monstres, dans des oeuvres où le bien et le mal sont clairement identifiés. Par la même, elles permettent de nous donner des outils et la force de les combattre. Dans les salles obscures, une expérience cathartique s'opère. Pendant deux heures, on assiste à un spectacle terrifiant, on voit de nos propres yeux ce que l'humanité peut nous offrir de pire, voire (dans le cas des films fantastique ou de science-fiction) ce qui, espérons-le, n'existe pas. On en sort libéré, presque soulagé de voir que finalement tous les aspects de notre vie que l'on craignait auparavant ne font en comparaison pas si peur. On s'engouffre alors de nouveau dans notre vie ordinaire. Et au fur et à mesure que le long-métrage et ses terreurs s'effacent de notre mémoire, celles, réelles, que l'on pensait disparues à tout jamais les remplacent à nouveau. Reprend alors notre croisade quotidienne contre nos angoisses et nos cauchemars. Jusqu'au prochain film d'horreur.
Un truc à écouter
L’année dernière, le réalisateur Ari Aster débarquait sans prévenir avec Midsommar, un film de secte brutal et malsain, sur fond d’acceptation du deuil.
En 2018, il frappait déjà fort avec Hérédité. Un drame familial bouleversant, horrifique et teinté de surnaturel. Mieux vaut y plonger sans trop connaître son histoire : c’est l’assurance d’être dérangé par les performances hallucinantes des acteurs. Pour donner le ton : Alex Wolff, interprète de Peter, demandait à ce qu’on l’appelle par le prénom de son personnage sur le plateau et, marqué par l’expérience, a préféré prendre quelques rendez-vous chez un psychiatre après le tournage.
Alors que les crédits défilent, dur de pas rester abasourdi devant son écran, interloqué et pas encore très bien sûr de ce que l’on vient de voir. Difficile aussi de ne pas ruminer certains évènements pendant de longues heures, quelques flashs chocs qui viennent perturber notre tranquillité toujours en tête (le poteau, c’est de toi que je parle).
Ari Aster maîtrise tous les aspects de son œuvre et ça se sent. De la direction d’acteur à la mise en scène, jusqu’à la BO, dont le titre que je vous propose d’écouter provoque une crispation immédiate à l’écoute de ces quelques notes.
Quelque chose à regarder
Que donnerait Midsommar si le film était une comédie romantique feel-good ? La réponse dans ce merveilleux trailer monté d’une main de maître.
Rémy
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Terreurs Nocturnes c’est une newsletter sur le cinéma de genre et d’horreur, qui se permet quelques digressions à l’envie vers les séries TV ou la littérature.
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