Insolite : une lycéenne échange son corps avec un serial killer
Le récit de cette mésaventure commence ici
Il était environ 23 heures ce lundi lorsque l’incident est survenu. Millie, lycéenne et mascotte de l’équipe des Beavers qui jouaient ce soir-là, attend sa mère devant le stade. Sur le parking embrumé apparaît Butcher, le tueur en série local. Alors qu’elle tente de fuir dans son costume de castor et malgré l’intervention de sa sœur, policière, il parvient à la frapper à l’aide d’une mystérieuse dague aztèque. Leurs corps échangés par un obscur processus, Millie apprend qu’elle a moins d’une journée pour régler ce problème avant qu’il ne devienne définitif. S’en suit alors une course contre la montre.
Prévu pour être le dernier film de la cuvée 2020 de chez Blumhouse Productions (maison spécialisée par les films d’horreur à qualité variable qui en a sorti dix cette année, dont le très divertissant The Hunt ou l’idiot Nightmare Island), Freaky a finalement été repoussé pour une sortie au début de l’année prochaine, sous réserve que les salles puissent rouvrir.
Se revendiquant comme une comédie-hommage aux slashers des années 70, le film en adopte certains codes pour mieux les tourner en dérision à grand renfort de quiproquos et de situations saugrenus. Tout en restant d’un certain classicisme.
Comme toujours dans le productions de la boîte fondée par Jason Blum, le curseur est difficile à placer. On sait que l’amour de l’horreur est là, ce qui ne parvient pas à faire oublier le faible budget, ici 5 millions de dollars, visible à l’écran. Les meurtres sont un peu bouffons, pas toujours bien mis en scènes et les effets spéciaux (heureusement rares) d’une qualité à ne pas faire palir les anciens tenors du genre, malgré l’avancée technologique.
Mais ceci est pardonnable. Ce qui l’est moins, ce sont les premières scènes qui présentent notre héroïne. Elle-même le dit au cours de la bande-annonce : dans les films d’horreur c’est souvent elle, la fille impopulaire du lycée, qui meurt la première. Pourquoi impopulaire ? On ne comprend pas bien. Millie, incarnée par Kathryn Newton (3 Billboards, Lady Bird, Big Little Lies, Supernatural…), a tout pour elle. Elle est jolie, gentille et empathique, intelligente. Entendons-nous bien, cela n’empêche pas le harcèlement scolaire d’être et chacun-e peut en être victime. Mais ici toutes les moqueries d’un niveau d’école élémentaire de ses camarades, et même des profs, consistent à se moquer de sa tenue et du fait que son père soit mort. Classe. Alors pour rendre les attaques plausibles, on joue sur l’apparence, Millie détache ses cheveux, les emmêle et l’on est sensé comprendre qu’elle n’est pas à l’aise socialement parlant. la tentative est plutôt risible, et l’occasion manquée de traiter plus sérieusement du harcèlement scolaire. Le thème est vite laissé sur le bord de la route si l’on exclut le leitmotiv « ce n’est pas la force physique qui compte, c’est ce que tu as dans la tête et dans le cœur », déjà vu des milliers de fois et bien difficile à entendre quand on se trouve à la place de Millie.
Ses amis, personnages secondaires de l'aventure, auront eux aussi leur quart d’heure de gloire. Ce qui ne suffit pas à les ôter à leur condition de faire-valoir. Encore une fois, ils sont superficiels, simplement définis par une unique caractéristique : Josh est un garçon homosexuel et Nyla afro-américaine. Le genre du slasher manquant cruellement de diversité, il est cependant agréable de voir que certains films s’emploient à un changement, aussi minime soit-il.
La vraie force du film est la performance de Vince Vaughn, acteur connu pour ses seconds rôles à Hollywood, mais surtout pour la série True Detective. L’improbabilité de la situation d’une lycéenne plongée dans le corps d’homme de 40 ans est bien rendue par sa gestuelle, ses intonations, toutes très drôles et qui offrent de vrais moments comiques. De l’autre côté du miroir, Kathryn Newton est parfaite dans son rôle-cliché du tueur en série inexpressif, mais personne ne remarque son brusque changement d’attitude, alors que du jour au lendemain elle se met à marmorrer avec un regard vide de vie perdu dans le lointain. Ses tendances à la violence semblent assez évidentes, ce qui n’empêche pas Butcher (ou plutôt Millie, vous suivez ?) de parvenir à ses fins en relookant son nouveau corps. Il suffit d’attacher ses cheveux et de revêtir un blouson de cuir rouge, simple ! Aussitôt , elle, ou plutôt il, déchaine les passions d’adolescents électrisés par leurs hormones en folie. Il n’a jamais été aussi facile de les attirer dans des pièges pour mieux les faire passer de vie à trépas.
C’était le principal attrait du film, et il le réussit plutôt bien. On s’amuse à voir Millie réaliser que la vie est bien plus facile lorsque l’on est un vieil homme blanc (sauf si l’on est un tueur en série recherché par la police, cela va sans dire). Alors que Butcher a bien du mal à accomplir ses crimes dans le corps d’une lycéenne. Il se fait aisément dominer physiquement par ses victimes, ce qui l’oblige à faire preuve de plus d’ingéniosité. Le ridicule des circonstances est bien là, l’humour qu’elles apportent aussi.
Le film présente de nombreuses scènes d’action pas toujours nécessaires, et perd par la même l’occasion de s’intéresser plus en profondeur aux personnages, aussi bien les motivations du tueur qui ne sont pas explicitées, que la relation de Millie avec sa mère ou sa sœur. On retiendra un passage dans une cabine d’essayage assez touchant, qui révèle nos personnages sous un nouveau jour.
Freaky est en somme un film fantasque et singulier plutôt lisse mais qui possède parfois de petits fulgurances, certaines scènes sont particulièrement drôles, l’engagement promis par son pitch bien tenu, en particulier grâce aux acteurs.
Un bon moment qui ne doit pas faire oublier que, comme l’extérieur d’une belle maison, une vue aiguisée peut y déceler les fondations et parfois même des défauts de construction.
Rémy
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