Festival de Gérardmer : des moustiques, l'Irlande et un croque-mitaine
Trois genres, trois pays, trois films de qualité
Comme nombre d’autres évènements, pandémie oblige, le Festival International du Film Fantastique de Gérardmer a décidé cette année de passer au tout-en-ligne.
De grosses économies en perspective : pas besoin de se rendre sur place, mais impossible aussi de se balader autour de ce superbe lac.
Vous pouviez donc voir depuis votre salon les dizaines de films sélectionnés, en compétition, hors-compétition, de la Nuit Décalée etc....
Arrivé en retard pour les deux films français du lot (La Nuée et Teddy, j’en rage encore) j’ai profité de l’occasion pour élargir mes horizons. Pour une fois, exit le cinéma américain malgré sa programmation prometteuse (Possessor par exemple vainqueur du Grand Prix).
J’ai embarqué, à raison d’un film par jour, en Pologne, en Irlande puis en Suède.
Mosquito State
(Pologne & USA, 1h40min)
Richard Boca (Beau Knapp) est analyste financier à Wall Street. Petit génie de l’informatique, il rapporte grâce à un algorithme de sa fabrication des milliards à sa boîte, qui lui rend bien. Immensément riche, il vit seul dans un immense appartement surplombant Central Park. Sa rencontre avec Lena (Charlotte Vega) et les prémices de la crise des subprimes de 2008, dont il est le seul à prendre conscience, vont le pousser à développer une passion dévorante pour les moustiques. Jusqu’à lui faire perdre la tête.
Dès le générique d’introduction, on retrouve l’attirail parfait pour faire recracher son déjeuner à n’importe qui. Un adroit mélange entre plans microscopiques anxiogènes de la naissance de moustiques et effets spéciaux datés.
Rien ne s’arrange avec l’arrivée du personnage de Beau Knapp qui, en quelques minutes, singularise un poncif maintes fois vu à l’écran, celui du riche surdoué paralysé par les interactions sociales. Il occupe souvent l’écran seul, et a tout pour nous incommoder. Pourtant, par la performance remarquable de l’acteur, on se prend vite d’affection pour lui, son comportement tout en fébrilité, son économie de mots, ses gestes nerveux. Une affection qui se transforme en attachement malsain lorsque se développe son engouement pour les moustiques.
Le film joue avec la finesse d’un semi-remorque sur notre angoisse de ces insectes et la crispation qu’engendre leur bourdonnement. Du bzzzzzz à toutes les sauces, tout le temps. Impossible de ne pas mettre sur pause pour aller vider ce verre d’eau stagnante qui traîne dans la cuisine (d’un côté, il faut reconnaître qu’on en apprend beaucoup sur les quatre stades de développement du moustique, je peux maintenant vous les citer par cœur).
Mais cette angoisse n’est rien comparée à la dégénérescence physique et mentale que subit Richard Bocca. Une spirale infernale qui rappelle parfois le travail de Cronenberg sur le corps et les matières organiques.
S’il sait nous incommoder par ses gros plans, esthétiquement le long-métrage est généreux. Les lumières ne cessent de nous exploser la rétine à base de violet ou de rouge. La photo sublime les intérieurs, une vraie force puisque la grande majorité de l’intrigue se déroule entre quatre murs.
Si Mosquito State est, certes, un film aux qualités indéniables, il est aussi lent à l’excès, contemplatif, presque mystique. Dire qu’il prend son temps est un euphémisme.
Je suis le premier à me plaindre du manque de rythme, mais ce n’est pas un reproche que je pourrais faire ici : tombé en plein sous le charme de son étrangeté, l’histoire m’a touché sans que je sache bien expliquer pourquoi.
Il se peut cependant que vous restiez de marbre face à cette hallucination bizarroïde. Si tel est le cas, vous risquez d’être déçu. Dans une sorte d’attente perpétuelle, le temps semble s’étirer à l’infini. Comme les minutes qui précédent une conférence de Jean Castex lorsqu’il doit annoncer de nouvelles mesures sanitaires.
À regarder avec téléphone hors de portée, car la tentation n’est jamais loin, et pourrait gâcher le visionnage d’une œuvre insolite.
Boys from County Hell
(Royaume-Uni & Irlande, 1h30min)
Six Mile Hill est un petit village irlandais comme il en existe tant d’autres. À ceci près que Bram Stoker, auteur de Dracula y aurait séjourné lors de l’écriture de son œuvre maitresse. Parmi les habitants qui profitent de cette légende pour attirer les touristes, Eugene Moffat, un jeune homme désœuvré qui passe tout son temps libre au pub. Après une nuit de beuverie, il va réveiller par mégarde Abhartach, un célèbre vampire irlandais. Le paysage va alors se teinter d’un rouge sang.
2020 semble une année assez propice à la réécriture de mythes du cinéma ou de la littérature d’horreur. Entre Teddy (en compétition officielle à Gérardmer lui aussi) ou The Wolf of Snow Hollow (j’en ai parlé dans une précédente newsletter), qui revisitent la figure du loup-garou, Dracula sur Netflix ou Boys from County Hell, celle du vampire.
L’inspiration de ce dernier semble assez évidente tant la pastiche du cinéma d’Edgard Wright, et notamment Shaun of The Dead, transparaît à chaque séquence. Dans le long-métrage anglais, la parodie des films de zombie est allégrement assumée de bout en bout, ce qui contribue à sa finesse et son excellence. Alors qu’au contraire, l’œuvre de Chris Baugh semble avoir bien du mal à se placer.
Mis à part quelques incursions comiques, de geste et de situation, le ton reste très sérieux, le malheur des personnages est manifeste. Si bien que l’on se sent presque mal de sourire lorsque une situation tragique est désamorcée par une incursion burlesque.
Hormis cette vraie faiblesse, quel plaisir d’entendre cet accent irlandais, cette ambiance typique bien posée, ces décors verdoyants somptueux dans lesquels évoluent des personnages à l’énergie vivifiante et communicative.
L’heure et demi que l’on passe à Six Mile Hill est loin d’être désagréable, mais plus l’histoire avance, plus on ressent une impression de déjà-vu. La relecture du mythe vampirique possède quelques idées intéressantes, trop rapidement balayées sous le tapis. Le film ne s’embarrasse pas de détails, préférant aller tout droit à l’essentiel. Il manque ainsi cruellement d’éléments crédibles pour nous embarquer dans cet univers. Reste une vision d’ensemble certes cohérente mais sans fantaisie.
C’est en arrivant à la conclusion que je m’en rends compte. Ce n’est pas la première fois que j’ai trop d’affection pour un film et que je ne peux pas rester sur une appréciation négative. Même Boys from County Hell, malgré ses défauts, me paraît bon. Son ambition ne semble pas de chambouler le genre. Surtout, j’ai vécu des instants réjouissants avec la bande d’Eugene, à les voir rivaliser d’ingéniosité pour affronter des vampires dans des scènes gores et palpitantes. Passées les 30 premières minutes, pris dans la mouvance, les seules phrases qui nous restent en tête : qui va rester, qui va y passer… ?
The Other Side
(Suède, 1h27min)
Lucas, un enfant de 5 ans, son père et Shirin, sa belle-mère, emménagent tous ensemble dans une belle maison de banlieue. Le bonheur est au coin de la rue. Si l’on excepte cette maison abandonnée qui jouxte la leur, de laquelle proviennent des bruits mystérieux, et ce nouvel enfant qui devient ami avec Lucas.
De mémoire, je ne me souviens pas d’un film d’horreur utilisant aussi brillamment le thème de la famille recomposée. The Other Side questionne les difficultés d’intégration, la signification du rôle de mère voire, dans une moindre mesure, la maltraitance infantile. Le tout avec douceur et sensibilité.
Le récit se déroule naturellement, sans superflu. Cette “matière familiale” n’est pas simplement un prétexte, elle se retrouve au cœur même de cette histoire mélangeant croque-mitaine et maison hantée. L’architecture du lieu est judicieusement utilisée, on comprend son organisation en un clignement d’œil. Chaque zone d’ombre est un moyen de nous terrifier, chaque recoin peut nous faire sursauter.
La technique de l’élastique (un joli nom pour le procédé qui consiste à retarder au maximum l’apparition d’un élément perturbateur dont le spectateur connaît déjà l’existence, afin de faire monter son angoisse) est employée à foison. Comme dans tout bon film d’horreur conventionnel. Les apparitions sont minutieusement préparées, entretenant rythme et dynamique.
Je réserve une mention spéciale pour Eddie Eriksson Dominguez, l’interprète de Lucas. Haut comme trois pommes, il offre une performance extraordinaire, aussi bien dans les scènes d’horreur que dans ses relations avec son père ou sa belle-mère. Chapeau.
Évidemment, il reste nombre de films que j’aurais aimé avoir le temps de voir, et que j’essaierai de rattraper un jour ou l’autre. En dehors des deux Français déjà nommés dans l’introduction, citons Les Animaux Anonymes, fable conceptuelle sans dialogues, Host, une séance de spiritisme sur Zoom, Ghosts of War, avec son mélange entre nazis et surnaturel ou Anything for Jackson avec sa famille sataniste. Parmi tant d’autres à surveiller !
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Cette newsletter est écrite par Rémy Chanteloup. Vous pouvez le retrouver sur Twitter ou Instagram.
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